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MARDI 16 NOVEMBRE 2004
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Film "Mondovino" à 20h30

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«Mondovino», de Jonathan Nossiter

La guerre du vin

Aujourd’hui, le vin est un marché aux enjeux colossaux. Dans son film, présenté au dernier Festival de Cannes, l’Américain Jonathan Nossiter a mené l’enquête sur trois continents pour montrer que la mondialisation du goût est en marche. Entre se soumettre et résister, le choix, dit-il, est encore possible

«Mais pourquoi y a-t-il autant de chiens dans votre film?» Impossible d’y couper, la question revient toujours dans la bouche des journalistes et celle des spectateurs. Ce soir-là encore, à Montpellier, où était organisée la première séance publique après la présentation du film à Cannes, Jonathan Nossiter y a eu droit. La salle de 350places était comble, plusieurs dizaines de personnes n’avaient pas pu entrer. Tous ces gens pour un film sur le vin? Il est vrai que la région s’y prête, et parmi les spectateurs se trouvaient nombre de viticulteurs et d’étudiants en œnologie. Mais il faut dire surtout qu’en questionnant le monde du vin sur trois continents Nossiter a ouvert une porte sur quelques-uns des problèmes majeurs de ce temps, de ceux qui concernent tout le monde, tous les jours, à tous moments. Une affaire de goût? Oui, justement. Mais s’agit-il de votre goût, vraiment, ou de celui que le marché vous impose?
Hubert de Montille, propriétaire et viticulteur bourguignon, est une des vedettes de «Mondovino», pas uniquement parce que son crâne déplumé apparaît sur l’affiche du film. Une de ses phrases peut servir de première clé: «Où il y a de la vigne, il y a de la civilisation, il n’y a pas de barbarie.» Jonathan Nossiter est allé voir là où il y a de la vigne, au Brésil et en Sardaigne, en Bourgogne et en Argentine, dans le Bordelais et en Californie. Voir, et écouter ce que les gens ont à dire. Et pour qu’ils s’expriment, ces gens, il est entré chez eux le sourire aux lèvres, on le voit dans le film, accompagné seulement de deux complices, la photographe Stéphanie Pommez et un cinéaste uruguayen vivant à Paris, Juan Pittaluga: «Ceux qui nous recevaient ne voyaient pas débarquer une équipe de cinéma ou de télévision, mais trois copains avec lesquels ils pouvaient parler tout en continuant de se promener dans leurs vignes ou de goûter leur vin.» Deux complices qui ne s’intéressent pas particulièrement au vin, c’est ce qu’il souhaitait, parce qu’il voulait que le film ne se limite pas aux connaisseurs et amateurs de la chose: «Quand Juan tenait la caméra, comme il se fiche du vin, son regard se portait sur les à-côtés, grâce à lui j’ai vu ensuite des choses que je n’aurais pas remarquées.» Un chauffeur qui attend son maître, un ouvrier sur son échelle, des mains de filles qui se tordent tandis qu’on célèbre les noces de la Californie et du Bordelais, ces arrière-plans irriguent le film, fondent son humanité. La plupart du temps, cependant, Jonathan Nossiter tenait lui-même la caméra, comme une troisième casquette vissée sur la tête, avec celle du réalisateur et du sommelier. Au départ, il prévoyait deux mois de tournage et un de montage, finalement trois années ont passé.

Quelle impression a-t-il rapporté de l’aventure, lui demande une spectatrice? «On trouve chez les vignerons ce qu’il y a de plus beau chez les grands artistes, la prétention en moins.» Le temps, en effet, se charge de dégonfler les têtes. Le temps qui passe et le temps qu’il fait. Le soleil qui brille au mauvais moment, la pluie qui tombe quand il ne faudrait pas, le gel qui fiche tout en l’air, la vanité ne tarde pas à en prendre un coup. Le vin comme une école de l’humilité. Le ciel ne se soucie pas de l’orgueil des hommes et se moque de leurs besoins d’argent. Mais quand il y a beaucoup à gagner? Là, cela devient autre chose, le vin ne peut être la seule marchandise qui se dérobe aux impératifs du marché, il faut que sa qualité soit constante, il faut qu’il séduise, chaque année, qu’il neige ou qu’il pleuve, que la récolte soit abondante ou maigre, on ne plaisante pas avec le business. D’où le mot de l’importateur new-yorkais Neal Rosenthal, qui parle d’une «guerre entre résistants et collaborateurs». Résistance et collaboration, le film s’organise autour de ces deux pôles. Jonathan Nossiter: «Le vin, c’est l’histoire qui vit, qui respire, en relation constante avec le passé, celui du terroir, celui de cette bouteille elle-même, un passé qui continue de vivre au présent, voire qui s’améliore avec le temps. C’est un des liens essentiels qui nous restent avec notre propre histoire. En cela, le vin est progressiste et notre histoire est menacée par l’acte commercial envisagé comme unique raison d’être.»
Il a rencontré Michel Rolland, œnologue consultant de plusieurs centaines de vignerons de par le monde, Bordeaux, Californie, Argentine, Maroc, Inde, entre autres. L’homme qui «micro-bulle» à tour de bras (c’est son truc), se marre tout le temps et professe que l’on peut faire du vin partout. Le cinéaste l’a filmé dans sa voiture, dans son bureau, dans son labo. Pas dans les vignes? «Non, j’ai passé six heures avec lui, je n’ai pas choisi les lieux. Avec Aimé Guibert (autre vigneron, autre vedette du film), je n’ai passé que deux heures, dans ses vignes.» Michel Rolland est un ami de Robert Parker, le critique qui pour quelques points de plus ou de moins (il note les vins sur 100) fait la fortune d’un vigneron ou décide de sa ruine. Dans le Bordelais et la vallée du Rhône, on lui élèverait volontiers une statue, il la mérite. Mais aujourd’hui, son jugement fait loi, ce n’est plus une affaire de goût, c’est une question de pouvoir et d’argent. Et pour lui plaire, certains vignerons ont cessé de faire le vin qu’ils aimaient, celui de leur terroir, pour fabriquer celui que Parker aime. Quand Mondavi, qui règne sur le vin de Californie et sur quelques-uns des beaux crus de par le monde, rachète un vignoble toscan, les critiques américains décrètent d’un même élan que le vin produit est «le meilleur au monde», et si dans le même temps Parker lui attribue 100 sur 100 (cela peut arriver, c’est peut-être un hasard), le prix de la bouteille est multiplié par 100. Limpide. Le même vin, partout, chaque année, on y vient. Comme le Coca. Comme les McDo. Tout le monde aime la même chose, tout le monde est d’accord. Ce que Hollywood a réussi en un peu plus d’un siècle, la Californie du vin et ses alliés sont en passe de le réaliser en moins de vingt ans. Très fort.
Face aux puissants, des culs-terreux, des attardés, des rétrogrades, c’est ainsi que les désignent ceux qui prétendent vivre avec leur temps. Ce n’est pas si simple, et dans «Mondovino» il n’y a ni bons ni méchants, ou du moins la distinction n’est-elle pas si tranchée. Aimé Guibert, qui a parcouru pour l’occasion les 30 kilomètres qui séparent ses vignes d’Aniane de Montpellier: «Sous Franco, il existait plusieurs catégories de criminels politiques et Nossiter me paraît correspondre à l’une d’elles: il est un anarchiste modéré.» Dans «Mondovino» comme chez Renoir, le problème est que tout le monde a ses raisons. Celles d’Hubert de Montille et de ses enfants, la jolie Alix en tête, ne sont pas celles du marché. Les vins dont on nous dit qu’ils sont meilleurs, ceux qui plaisent, donc, «vous bluffent, vous en mettent plein la gueule dès le départ et vous lâchent d’un seul coup, et alors il n’y a plus rien». La conclusion d’Hubert de Montille, dans le film: «Le monde moderne, parce qu’il n’a plus le temps de rien, est habitué à cela, il aime se faire bluffer.» Des vins bourrés d’effets spéciaux, si l’on veut. Aimé Guibert le dit autrement, mais cela revient au même: «Soyons clairs, le vin est mort. Et pas seulement les vins, mais aussi les fruits, les fromages…» Le bonhomme joue volontiers les provocateurs, en tout cas il continue de faire comme il l’entend, attaché à ce «métier de poète» qui consiste à élever de grands vins. Le mystère n’est pas près de se dissiper, qui dure depuis aussi longtemps que la civilisation et que des milliers de gens dans le monde cultivent.
On dira peut-être qu’il y en a pour tous les goûts, des vins à l’épate, des grands, des bons et même d’infâmes piquettes. Oui, mais… «Souvenez-vous qu’aux jeux Olympiques d’Athènes, une seule boisson était autorisée: Coca-Cola. Toutes les autres étaient interdites!», tempête Aimé Guibert. Pas si loin de là, un vigneron sarde rappelle que «même les animaux choisissent ce qu’ils mangent».
Les clebs courent dans les vignes derrière leur maître. Ils sont les veilleurs, les gardiens, comme des totems, la truffe au ras des grappes. Allez savoir si le vin serait le même si parfois ils ne levaient pas la patte sur les ceps. Robert Parker, lui aussi, a des chiens. L’un d’eux est pétomane.

«Mondovino», de Jonathan Nossiter. En salles le 3 novembre.

Jonathan Nossiter, né aux Etats-Unis il y a 42 ans, cinéaste et documentariste, a réalisé notamment «Sunday»,«Resident Alien» et «Signs and Wonders».


Pascal Mérigeau

Pascal Mérigeau est journaliste et critique de cinéma au "Nouvel observateur"

 

 

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